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OUATTARA WATTS

Tous ceux qui sacrifient à l’appel irrépressible de la nécessité d’inscrire des couleurs et des formes sur des surfaces, n’atteignent pas la récompense du beau. Comment y parvient-on alors ? La réponse de Watts serait : « par la force de son travail. Il faut se tenir et se maintenir prêt.» A Paris où il débarque en 1977 avec quelques camarades de Côte d’Ivoire, il fait ses classes aux Beaux-Arts. .
Sous le mentorat de Yankel leur professeur, ses amis d’Abidjan qu’il retrouve à l’École des Beaux-arts de Paris, sont dans des recherches qui déboucheront en Côte d’Ivoire, sur la création du Vohou-vohou, un mouvement qu’on peut tenir pour l’école d’Abidjan Ouattara suit l’affaire mais il ne rejoint pas les « troupes régulières», un peu comme le franc-tireur qu’Albert Camus tient pour la figure la plus pertinente de l’artiste engagé. Durant ses premières années professionnelles à Paris, il ne vend pas beaucoup. Normal, il ne fait pas dans le style qu’on attend d’un nègre à Paris. Revisitez l’expo de groupe organisée par l’ADEIAO en 1985, au musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, vous verrez qu’il ne fait ni dans l’ocre, ni dans le marron pour faire signe à une africanité hypothétique. Toujours est-il que l’intérêt que lui portent quelques connaisseurs l’aide à y croire.
Il n’a pas à se plaindre. Il peint, il lit, il hante les expositions. Si bien qu’il est prêt ce jour de 1988, où Jean-Michel Basquiat insiste pour visiter son atelier. Il est prêt quand l’artiste américain d’origine haïtienne, l’invite à le rejoindre à New-York. Mais, comment aurait-il pu être prêt quand subitement le 12 août 1988, Basquiat monte au ciel. Il n’a que 38 ans.

Watts est Côte d’Ivoire où Jean-Michel Basquiat devait le rejoindre.

En hommage à son ami, il conçoit l’Ascension du Samo, un tableau dont les fulgurances douloureuses font signe à l’univers mystique de la culture Senoufo. Watts se révèle un artiste brillant dont le geste traduit l’élégance radicale du cœur de de l’esprit. Sobre, il évite les surcharges. Il a plein de choses à dire, mais appliquant la sagesse du calao, l’animal emblématique de l’art Sénoufo, il sait qu’il est souvent urgent de savoir refermer son bec, sur ce qui vous trotte dans le ventre ou dans la tête. Sa peinture est de geste : un geste ample qui passe sur la toile avec l’énergie tourbillonnaire.

Leur transparence cristalline ouvre sur de grands plans colorés sertis de chiffres et d’équations, de formules arithmétiques et des figures géométriques qui ensemble créent une ambiance de recherche, sans l’évidence de vérités entendues. Des récurrences reviennent : à l’horizontal ou à la vertical, ses tableaux se découpent en plans inégaux qui jouent avec les règles de la composition.
D’un tableau à l’autre, on retrouve le signe “plus” de l’addition qui figure aussi la croix. Il y a aussi l’œil ; l’œil de la conscience qui ne dort jamais que d’un œil. Et puis les livres, des piles de livres : tous les mondes qui attendent d’être découverts.
Au total, se révèle un peintre de la concrétude entêtée des choses et de la force du symbolique. Qui construit un pont et donc une tension plus ou moins forte entre deux régimes de croyances : le langage des signes et des couleurs d’une part, le discours de vérité des sciences.
Il paraît que la peinture est morte, assassinée par la photographie. Il parait que son programme est achevé, épuisé par les grands maîtres qui depuis le Moyen-Age, de Rome à Athènes, d’Amsterdam à Paris, de Berlin à New-York, l’ont prise et retournée dans tous les sauf qu’on peut se demander si véritablement, on peut établir le constat d’une fin de la peinture. De même, qui saurait établir le certificat de décès des arts, des humanités ou de l’histoire ? Ce ne sont pas là juste des disciplines mais aussi des protocoles de mise à distance des expériences vécues ou réfléchies, pour élaborer et reprendre des formes, des rythmes, des couleurs, des sensations qui sur le dos du cheval ailé du « langage des signes » avancent. La peinture n’est pas morte. Les tableaux de Watts en administrent la preuve. Le talent et le travail, c’est aussi la capacité du créateur à déplacer tout doucement les limites consignées, pour placer de nouveaux points de suspension.
Né en 1957 à Korhogo en Côte d’Ivoire, Watts vit et travaille à New-York.

Yacouba Konaté Novembre 2018

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